D'une star de la musique dans les années 70 à un chef étoilé : c'est l'histoire singulière de cette maison de Puylausic, petit village de 170 habitants, niché dans les collines du Savès Gersois, à quelques kilomètres de Samatan. L'ancienne demeure du célèbre chanteur des années 70, Pierre Vassiliu, a été transformée il y a quatre ans par le chef Julien Razemon, 38 ans, et sa compagne Cynthia Stribick, en un restaurant gastronomique. Avec l'ambition d'en faire une table étoilée. Un pari réussi, "La maison Despouès", a décroché lundi sa 1ère étoile dans la bible de la gastronomie française : le Guide Michelin.
Chef, votre établissement "la Maison Despoues" a décroché sa première étoile dans le célèbre guide Michelin, quelle saveur a cette étoile ?
Julien Razemon. "Cette étoile a une saveur un peu particulière. Ce n'est pas ma première, c'est ma troisième en tant que chef. J'en avais déjà obtenu deux dans le passé, mais en travaillant pour des patrons, pas en mon propre nom. Cette troisième étoile a donc une saveur plus particulière pour moi, c'est un peu la cerise sur le gâteau. Elle est le fruit de plusieurs années de travail et de sacrifices. Il faut se rappeler qu'il y a quatre ans, cet endroit n'était pas du tout un restaurant. Je tiens à associer cette distinction à mes équipes, en salle comme en cuisine. Nous sommes une dizaine de personnes à faire partie de cette belle aventure, et cette étoile est également une reconnaissance de leur travail. Je suis aussi particulièrement fier pour le Gers, car il est essentiel de valoriser cette région qui regorge de produits d'exception. Cette reconnaissance salue également le travail de mes fournisseurs, producteurs, comme maraîchers, qui nous offrent chaque jour des produits d'une grande qualité."
Quelle est la procédure pour obtenir une étoile dans le guide Michelin ? Vous avez candidaté ?
"On ne candidate pas pour être dans le guide Michelin, c'est eux qui décident de vous référencer ou non. Pour ma part, étant déjà connu grâce à mes précédentes expériences dans des établissements étoilés, j'ai simplement informé le guide de l'ouverture de mon restaurant par mail. Et après, les inspecteurs du Guide Michelin décident d’eux-mêmes de passer, et de donner ou non ce précieux sésame suivant leurs critères d'évaluation."
Depuis l’annonce lundi de votre première étoile au guide Michelin, avez-vous déjà des retombées ?
"Ça a déjà commencé dès lundi soir (NDLR, à l’issue de la cérémonie du Guide Michelin 2025), avec notre site de réservation qui a reçu de nombreuses demandes. Toutes les cinq minutes depuis lundi je reçois de nouvelles demandes de réservation sur mon téléphone. Pour la semaine à venir, de jeudi à lundi, le restaurant est déjà complet, midi et soir. Ça ne va pas forcément remplir davantage les weekends, car nous étions déjà bien complets. Nous ne voulons pas surcharger le restaurant, mais ce qui est intéressant, c’est que cela va nous permettre d’attirer des clients les jours plus calmes, comme le jeudi et le lundi. Cela a un impact direct, même si l’euphorie finira probablement par s’atténuer dans 2-3 mois. En revanche, si cela peut pérenniser la période hivernale, qui est un peu plus calme pour nous, et attirer des clients d’un peu plus loin que notre bassin de population actuel, cela peut être vraiment intéressant. "
Cette étoile va-t-elle permettre d’élargir votre clientèle, à l’échelle nationale, voire internationale ?
"Oui, clairement. Elle va élargir notre visibilité. Nous étions déjà reconnus comme une bonne table dans le Gers, mais là ça va nous permettre d’être reconnus au-delà du département."
Le macaron est-il déjà affiché ?
"Non, malheureusement (rires). On aimerait bien repartir avec la plaque rouge, mais la cérémonie de remise des plaques se tiendra un peu plus tard. Cependant, on repart avec une belle veste, avec le joli macaron dessus."
Avec 170 habitants, Puylausic, est l'une des plus petites communes de France à abriter un restaurant étoilé, comment vous est venu l'idée de vous installer dans ce village gersois ?
"On était avec mon épouse en région parisienne juste avant cette aventure. Quand on a eu notre première fille, nous qui ne sommes pas du tout de la région parisienne, mais des Landes de mon côté et ma femme du Gers, on a pris la décision de revenir dans notre Sud-ouest et d'ouvrir notre propre restaurant. Avec l'envie de voir nos enfants grandir dans cette région. C'était soit le Gers, soit les Landes, mais je suis tombé amoureux d'une Gersoise et du Gers, le choix s'est donc porté naturellement vers ce département. On a visité plus d'une quarantaine de lieux, des biens qui n'étaient pas des restaurants, mais qui étaient des maisons avec des âmes, avec la volonté de construire nous-mêmes quelque chose derrière. Puylausic ma femme ne connaissait pas, elle a pourtant grandi à une vingtaine de kilomètres de-là, à Endoufielle. Quand on a visité cette maison, perché sur une colline, avec un magnifique point de vue sur les collines du Savès, on est tombé amoureux du site et de la maison. Et l’aventure a commencé."
Une maison dans lequel le célèbre chanteur français des années 70 Pierre Vassiliu a vécu...
" Pierre Vassiliu y a vécu pendant une vingtaine d'années. Ça ne parlait pas trop à notre génération à nous, mais plus à celle de nos parents. Quand on a racheté cette maison, il y avait encore des tableaux au mur, et une vraie âme d'artiste, c’est aussi ce qui nous a séduit."
Maintenant que vous avez obtenu cette première étoile, le plus dur va être de la conserver ?
"Pour moi, le plus dur c’était de l’obtenir. J’étais stressé pendant 4 ans, et maintenant que je l’ai, ça m’enlève un poids. Cette distinction est une reconnaissance de ce qu’on fait. Nous sommes reconnus par nos pairs, c’est important. Maintenant, nous allons continuer ce que nous avons toujours fait, mais avec cette belle plaque en plus et cette étoile au-dessus de la tête."
Vous avez baigné dans les restaurants étoilés dans votre carrière. Dans quelle maison avez-vous travaillé avant d’ouvrir votre restaurant ?
"Je suis landais, donc passage obligé chez Monsieur Coussau à Magescq, au Relais de la Poste, pendant quelques années. Ensuite, je suis parti en Bourgogne, chez Monsieur Lameloise, trois étoiles au Guide Michelin, avec son chef Eric Pras, qui est Meilleur Ouvrier de France. Après, j’ai rejoint à Chamonix, l’emblématique famille Carrier, au Hameau Albert 1er."
Depuis quand avez-vous cette passion pour la gastronomie ?
"Depuis que j’ai 15 ans, je baigne dans la gastronomie, et j’adore ça. Mes parents et mes grands-parents n’étaient pas du tout dans ce milieu-là. Ma mère était une très bonne cuisinière et se réunir autour d’une table, se rassembler, vouloir faire plaisir à l’autre, ça m’a toujours animé depuis gamin."
Comment pourriez-vous décrire en quelques mots votre cuisine qui vous vaut cette étoile au Guide Michelin ?
"Une cuisine gastronomique sans chichis, où l’on sait ce qu’on va chercher : des bons produits. Jean Coussau m’a toujours dit : « La cuisine, ce n’est pas compliqué. Un bon produit, un bon assaisonnement, une bonne cuisson, ça ne sert à rien de faire plus. » Et il avait raison. Aujourd’hui, j’essaie de trouver les meilleurs producteurs locaux que je peux avoir, et ils ont déjà fait 90 % du travail lorsqu’ils m’apportent un bon produit, que ce soit des maraîchers, des éleveurs de porcs noirs, de bœufs, de volailles… Nous, il ne nous reste plus qu’à sublimer ça. Moi, j’aime faire une bonne cuisine de terroir, où l’on sort un peu de l’idée que dans le Gers, on cuisine uniquement du canard. D’ailleurs, c’est rare que je propose du canard à ma carte, car il y a tellement d’autres belles choses dans notre département. Nous avons été labellisés « Table du Gers » il y a trois ans, et plus de 80 % de nos produits proviennent de producteurs locaux."
La cuisine que vous proposez reste assez accessible pour un restaurant étoilé, avec un menu du lundi au samedi à trois plats à 40 euros et un menu à cinq plats à moins de 60 euros. Est-ce votre objectif de défendre une cuisine étoilée accessible à tout le monde ?
"Vous savez, c’est marrant, depuis lundi, j’ai des clients qui m’écrivent : « On ne pourra plus venir, vous allez augmenter vos tarifs ! » Non, détrompez-vous on ne va rien changer et garder les mêmes tarifs avec les mêmes formules, car ça a plu au Guide Michelin, alors pourquoi changer ? J’ai envie que ma cuisine reste accessible à un maximum de personnes, même si je suis conscient que tout le monde ne peut pas se permettre de dépenser 40 euros tous les midis."
Maintenant que vous avez eu cette étoile, avez-vous envie d’aller encore plus haut avec l’objectif d’une 2e étoile ?
"On s’est posé la question avec ma compagne (Cynthia), mais on n’a pas envie de faire la course à la deuxième étoile. On a plutôt envie de faire la course pour continuer de faire grandir notre maison, qui n’a que 4 ans. Je pense que c’est ça qui comptera demain. Avec Cynthia, on est amoureux de notre métier, donc on veut continuer à faire grandir notre maison."
CP : maison Despouès
Des propos recueillis par Enzo Rousseau